Catéchèses

Marie, Vierge et Mère, silence et confiance

Fête de la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu

En ces jours d’hiver et de lumière renaissante où nous célébrons le mystère de l’Incarnation du Verbe, l’Eglise nous invite à méditer aujourd’hui sur la Mère de Dieu comme prototype de sainteté de la Nouvelle Alliance, ou si vous préférez, comme modèle pour notre cheminement spirituel.

Saint Luc dit en effet « Marie gardait toutes ces choses et les méditait dans son cœur » et je pense que cette phrase résume l’attitude intérieure de la Mère de Dieu, c’est-à-dire qu’elle nous montre le silence et la confiance sans lesquels le Verbe ne peut s’incarner.

Remarquons d’abord le silence de Marie devant les bergers qui viennent adorer le Christ. Elle ne commente pas, elle est là, simplement, attentive et silencieuse. Plus largement, les Evangiles ne nous rapportent que très peu de paroles prononcées par elle :

  • Lors de l’Annonciation, elle dit oui – « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » – à l’archange Gabriel, non sans avoir posé une question qui montre l’exercice du discernement et non pas la naïveté : « comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d’homme ? » (Luc 1, 34 et 38).
  • Elle chante la louange de Dieu à travers le Magnificat chez sa cousine Elisabeth.
  • Elle s’inquiète de l’absence de Jésus lors du pèlerinage à Jérusalem 12 ans plus tard : « mon enfant pourquoi as-tu agi ainsi ? Ton père et moi étions très inquiets ». (Luc 2, 49). Saint Luc reprendra d’ailleurs les mêmes mots : « Elle gardait tous ces évènements dans son cœur »(Luc 2, 51).
  • Enfin elle intercède auprès de son Fils lors des noces de Cana : « ils n’ont plus de vin », et elle dit aux serviteurs : « Quoi qu’il vous dise, faites-le » (Jean 2, 3 et 5).

Cinq paroles en tout et pour tout. Marie est bien fondamentalement un être de silence, mais cela s’inscrit dans quelque chose de plus profond : le silence divin. C’est en effet dans le silence que se fait l’Incarnation : l’évènement, inaperçu du monde, se produit la nuit, dans un coin reculé de l’empire romain, loin du bruit et de l’agitation. Quant aux chants angéliques qui accompagnent la naissance du Christ, seuls les entendent les bergers, êtres de silence eux-aussi.

Mais allons encore plus loin, et remarquons l’importance du silence en ce qui concerne le Christ ; certains en effet entendent les paroles du Christ, mais peu entendent son silence. Pourtant ce n’est qu’après trente années de vie cachée et silencieuse qu’il a parlé publiquement.

Le Verbe vient du silence et retourne au silence.

Nous voyons donc bien que le silence de la Mère de Dieu devant les bergers n’est ni passivité ni torpeur, c’est le silence même dans lequel le Verbe devient chair, c’est le silence dans lequel s’enracine toute vie spirituelle. Rappelons-nous d’ailleurs ce qui est dit tout au long de la Bible : « Ecoute Israël… » l’écoute est le premier pas dans la vie spirituelle, mais pour écouter, pour entendre, il faut d’abord faire silence.

On raconte qu’un jour, au temps des Pères du désert, on demanda à l’un de ces pères, Abba Pambo, d’adresser une parole d’édification spirituelle au Patriarche d’Alexandrie en visite dans la région, et le vieillard répondit : « s’il ne tire pas profit de mon silence, il n’en tirera pas non plus de mes discours ».

Le silence est donc pour le chrétien, moine ou laïque, une attitude fondamentale à cultiver pour progresser spirituellement. Mais il ne s’agit pas seulement du silence des lèvres, mais aussi et surtout du silence du mental, de l’esprit qui s’abstient de juger. En effet, Marie ne juge pas, elle ne manifeste pas de préférence ; son silence est l’accueil de ce qui est, de la réalité qui lui est donnée. C’est l’expression de son obéissance à la volonté divine, signe et source de la virginité spirituelle dont la virginité physique n’est qu’une manifestation.

La deuxième chose à remarquer en contemplant l’attitude de la Mère de Dieu pendant la nuit de la Nativité, c’est la confiance totale à cette même volonté divine, sans laquelle le silence risquerait de devenir négatif, destructeur.

Le mot confiance que j’utilise ici est, dérivé du mot latin « fides » qui signifie la foi. Confiance, foi, fidélité, fiançailles sont donc des mots qui ont même racine et qui expriment une attitude intérieure de remise de soi entre les mains de quelqu’un d’autre, mais en connaissance de cause, car la foi de Marie, comme la foi qui devrait habiter en nos cœurs n’est pas de l’ordre de la croyance, mais de la connaissance, et c’est pourquoi j’utilise le mot confiance. C’est cette confiance qui la rend disponible pour accueillir la réalité de l’Incarnation, et qui fait « qu’elle garde ces choses dans son cœur »; c’est la suite et le renouvellement de son « oui » de l’Annonciation. En elle, tout est « oui » à Dieu.

Mais ne croyons pas que cette confiance a été plus facile pour elle qui est la Mère de Dieu que pour non. Souvenons-nous en effet que le vieillard Syméon lui annoncera lors de la Présentation de Jésus au Temple, qu’elle aura « l’âme transpercée par un glaive » (Luc 2,35). Autrement dit la confiance de la Vierge Marie doit passer par l’acceptation de l’incompréhensible voire de l’inacceptable. A nous qui sommes souvent tentés par le doute, l’incompréhension, ou la révolte, la contemplation de la Mère de Dieu doit rappeler que faire confiance à Dieu c’est se remettre, se donner, lâcher prise, sans réserve, inconditionnellement, jour après jour, en toute situation, même dans ce qui est apparemment le plus absurde, le plus incompréhensible, le plus inacceptable, jusqu’au sacrifice au sens étymologique, c’est à dire faire participer notre vie et notre être au sacré, à la sainteté même de Dieu.

Il nous faut travailler à faire grandir la confiance, en nous. Ainsi, la virginité de la Mère de Dieu, virginité qui lui permet « d’enfanter Dieu le Verbe sans corruption », c’est à dire sans esprit d’appropriation, de possession, de domination, est donc fondée sur le silence intérieur et sur la confiance.

Mais en nous aussi, en chacun de nous, de façon personnelle, l’Esprit Saint doit engendrer le Verbe, le Fils de Dieu, puisque comme le dit saint Ambroise de Milan : « s’il n’y a selon la chair qu’une seule Mère de Dieu, chacun de nous doit engendrer le Christ selon la foi, car tout âme reçoit le Verbe de Dieu ». Et lorsque saint Séraphin de Sarov dit que « le but de la vie chrétienne c’est l’acquisition du Saint Esprit »c’est pour que se réalise en nous cette filiation.

Il nous faut donc, comme Marie, devenir Vierge et Mère, pour que le Verbe naisse en nous par la puissance de l’Esprit Saint ; et notre participation à cette œuvre qui est très exactement la divinisation, c’est à l’exemple de la Vierge Marie, de travailler à faire silence en nous pour accueillir le don de Dieu, et à dire oui, à nous remettre inconditionnellement, avec une confiance d’enfant, à chaque instant de notre vie entre les mains de Dieu puisque nous savons qu’Il nous aime personnellement d’un amour absolu au point de vouloir participer à notre humanité pour que nous puissions participer à sa divinité. A Lui la gloire aux siècles des siècles. Amen.

P. Yves Dulac

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